La Mésentente cordiale ? La chanson française dans le contexte anglophone

Peter Hawkins

p.g.hawkins@bristol.ac.uk

Scarica il PDF >>

Abstract

Malgré un certain succès dans les années 50 et 60, grâce à des adaptations anglaises réussies, la Chanson française brille par son absence dans le monde de la musique populaire anglo-américaine. Les auteurs-compositeurs-interprètes les plus réputés de la génération actuelle – Souchon, Renaud, Cabrel, Lavilliers – restent d’illustres inconnus dans le contexte anglophone, et même les valeurs les plus consacrées, telles que Léo Ferré, demeurent quasiment invisibles dans culture musicale anglophone. Comment expliquer une telle absence ? Une profonde divergence culturelle dans la conception de la chanson populaire sous-tend peut-être cette situation peu réjouissante : le succès de la variété anglo-américaine repose sur une expérimentation sonore et rythmique héritée du blues, du gospel, de la ‘country music’, tandis que l’ambition de la Chanson française vise, même sans se l’avouer, une consécration littéraire et intellectuelle. Cette aspiration fait qu’elle a du mal à s’exporter, pendant que la variété anglo-américaine, ne dépendant pas de la connaissance linguistique, fait le tour du monde. Cette situation met en relief l’importance d’adaptateurs expérimentés, tels que Mort Shuman et Eric Blau, responsables des quelques succès anglophones de Jacques Brel, ou encore Herbert Kretzmer, auteur du livret anglais des Misérables et de la plupart des succès de Charles Aznavour. Mais la relève se fait attendre, et le contexte musical actuel demeure-t-il réceptif à une telle initiative ?

Plus de vingt ans après la disparition de Léo Ferré, le 14 juillet 1993, réfléchissons à la postérité de l’une des figures les plus marquantes de la chanson française des années d’après-guerre. Son statut marginal, son refus de la consécration officielle, ses combats pour se faire reconnaître en tant qu’artiste et créateur polyvalent, mais en dehors des sentiers battus, lui ont souvent valu une réputation de mauvais coucheur, et lui ont créé bien des difficultés dans l’exploitation commerciale de son très grand talent. Vu de l’extérieur, en quelque sorte, du point de vue britannique, il est frappant de constater qu’il demeure quasiment inconnu du public anglophone, à la différence de Jacques Brel, de Serge Gainsbourg ou même de Georges Brassens, qui jouissent d’une réputation considérable dans les pays anglo-américains, et dont certaines chansons ont été adaptées et diffusées dans le monde de la musique anglophone. Bien sûr je me suis efforcé moi-même de remédier à cette situation en publiant un album – le premier, à ma connaissance – d’adaptations anglaises des chansons les plus connues de Ferré, sous le titre évocateur de Love and Anarchy, avec l’encouragement de son fils Mathieu et des Nouvelles Éditions Meridian, détenteurs des droits de la plupart des chansons. Mais cette invisibilité de Ferré provoque néanmoins une réflexion sur les raisons d’une telle absence, qui n’est qu’un exemple parmi les plus frappants du sort général de la chanson française dans les pays anglophones. C’est une princesse qui attend toujours son prince charmant pour faire connaître la richesse poétique et musicale de cette tradition auprès du public anglophone.

Car en matière d’invisibilité, Ferré est loin d’être seul. La plupart des noms les plus réputés de la Chanson française contemporaine – Souchon, Cabrel, Lavilliers, Renaud – sont d’illustres inconnus outre-Manche et à plus forte raison outre-Atlantique. Je ne parle pas, bien sûr, de l’enclave québécoise, véritable oasis de la chanson francophone dans le désert nord-américain. Mais autant les groupes anglophones ont fait de la conquête des États-Unis la première étape de leur projet de domination mondiale des médias, autant la présence francophone reste au stade virtuel, hypothétique.

En a-t-il toujours été ainsi ? On est bien obligé d’affirmer que non. Dans les années cinquante et soixante, la chanson française, sans avoir un rayonnement comparable aux Beatles ou aux Rolling Stones, a maintenu une présence discrète dans les médias anglophones. Édith Piaf et Charles Trenet ont réussi une carrière anglophone : leurs chansons ont été adaptées en anglais et même en version originale, certaines demeurent les rares titres français universellement connus. Même jusqu’à nos jours « La Mer » ou « Non, je ne regrette rien » constituent les rares exemples de chansons françaises encore fredonnées par le grand public anglophone. Yves Montand et Charles Aznavour ont également fait carrière dans les pays anglophones. Les chansons de Gilbert Bécaud ont eu les honneurs des hit-parades américains : « Let it be me » des Everly Brothers, version anglaise de « Je t’appartiens », est devenu un standard ; « The Day the Rains Came » (« Le Jour où la pluie viendra ») a été reprise par plusieurs artistes. Plus récemment Françoise Hardy a conquis les jeunes anglais, et même les jeunes anglophones de l’Afrique du Sud et de l’Australie, en enregistrant des titres en anglais. Mais depuis le début des années soixante-dix, les deux cultures musicales se sont éloignées, et aujourd’hui les variétés francophones sont le plus souvent accueillies dans le monde anglophone par une moue ironique et condescendante.

Comment expliquer un tel malentendu, une telle injustice envers une production nationale de grande qualité, dont l’inspiration créatrice ne s’est pas démentie ? Pour moi, il s’agit d’une divergence culturelle profonde dans la conception de la musique populaire. Depuis le milieu des années cinquante, depuis l’avènement du Rock n’roll, la musique anglo-américaine s’est orientée vers une recherche du rythme, de la sonorité vocale et instrumentale, au dépens des paroles, le plus souvent quasiment inaudibles. La France, par contre, est restée en grande mesure fidèle à la chanson à texte. Pourquoi le Rap américain s’est-il si rapidement acclimaté en France, avec le succès de MC Solaar et bien d’autres ? C’est un genre principalement axé sur le texte, et souvent un texte bien plus intéressant que ceux de ses modèles américains qui eux, s’intéressent davantage aux effets rythmiques et aux attitudes machistes des interprètes. Cette proposition est bien entendu très schématique, et n’est pas non plus nouvelle : dans les milieux de la chanson, on s’est inquiété depuis quelques années de l’importance du son de la chanson au dépens du texte. Mais je me propose quand même d’approfondir cette opposition entre le son, la recherche rythmique et sonore qui domine la musique populaire anglophone depuis une bonne cinquantaine d’années ; et le sens de la chanson française, la recherche textuelle et poétique qui vise une reconnaissance littéraire et intellectuelle, dans laquelle la sonorité et le rythme ont leur importance, mais restent le plus souvent secondaires.

Il n’est pas difficile d’illustrer la continuité de la recherche rythmique et sonore dans la musique populaire anglophone. Au festival de Glastonbury 2013, les Rolling Stones ont fêté leurs cinquante ans de carrière. C’est dire que le rock anglo-américain est toujours sur la brèche. Axée sur les accords du blues, le rythme insistant des chants de travail et le style vocal guttural imité des bluesmen noirs des États-Unis, cette musique a fait le tour de la planète, et dépend peu en fin de compte de la compréhension des paroles anglophones. Le riff de « Satisfaction » des Rolling Stones est presqu’universellement reconnu. Mais ce qui est encore plus frappant, c’est la présence au même programme du Festival de Glastonbury 2013 de Phoenix, groupe de jeunes Français qui pratiquent un rock californien et entièrement anglophone. En même temps, le groupe français Daft Punk caracole en tête du hit parade des albums au Royaume-Uni avec une musique entièrement consacrée à la recherche sonore et rythmique. Ces Français ont manifestement décidé, en toute lucidité, de passer dans l’autre camp.

On peut objecter qu’il existe bien une chanson à texte anglophone, plus marginale sans doute, mais qui défend des paroles poétiques ou engagées : l’exemple le plus célèbre est celui de Bob Dylan. On pourrait également citer Randy Newman, Elvis Costello, Van Morrison, Nick Cave, Paul Weller et bien d’autres. Mais ce qui est frappant chez ces auteurs de chansons reconnus pour la qualité des leurs textes, c’est à quel point leurs paroles sont souvent inaudibles à l’écoute, noyées par les effets vocaux hérités de la tradition du blues. La recherche du son, de la couleur vocale, passe avant la compréhension du texte, même s’il manifeste des ambitions quasi-littéraires. Cela reste vrai même chez un auteur à qui on reconnaît une qualité littéraire marquée, comme c’est le cas chez Bob Dylan.

Par contraste, revenons sur le cas de Léo Ferré pour illustrer le problème de la non-reconnaissance de la chanson française dans les pays anglophones. Toute son œuvre s’inscrit dans une tradition poétique franco-française, et vise une reconnaissance artistique et intellectuelle qui se situe dans le cadre d’une avant-garde française et européenne. Il s’identifie aux poètes maudits de la tradition littéraire française, il consacre une partie importante de son œuvre à la célébration de leur héritage poétique, et ses propres chansons expriment le plus souvent une révolte qui se situe dans le contexte social et politique français, quand il ne se pose pas en héritier de tout un courant poétique venu du surréalisme. Les antécédents et les références sont tout autres que ceux du rock anglo-américain et cela présente un problème d’incompréhension, de non-reconnaissance pour un public anglophone. Même sur le plan purement musical, l’opposition entre les deux genres est fondamentale : la musique rock repose le plus souvent sur un schéma harmonique hérité du blues, ou bien sur les accords de l’anatole. Ferré, par contre, utilise des harmonies empruntées à la musique savante française, Debussy et surtout Ravel, qui a été l’inspiration de sa vocation musicale à la suite d’une rencontre de jeunesse au Casino de Monte Carlo (Belleret 1996, pp. 69-70 ; Vassal 2013, pp. 39-40). Ferré déploie le plus souvent des harmonies non résolues, des sixièmes, des septièmes majeurs, des neuvièmes, ou bien emprunte des accords mineurs à la musique baroque ou romantique. C’est une couleur musicale qui, pour un public anglophone, appartient bien plus à la culture de la musique classique qu’à la musique populaire.

Là aussi, on pourrait protester que des artistes contemporains de Ferré comme Jacques Brel et Charles Aznavour ont bien réussi, eux, à se tailler une niche personnelle dans le marché de la musique anglophone. Ce succès, quoique limité à un statut de figure culte, ils le doivent à des adaptateurs expérimentés tels que Mort Shuman et Eric Blau, dans le cas de Brel, à la suite du célèbre spectacle Jacques Brel is alive and well and living in Paris, d’où sont tirées la plupart des versions anglaises les plus connues. C’est ainsi que « Jacky » a été interprétée avec succès en anglais par Scott Walker et par Marc Almond, et « Amsterdam » reprise par David Bowie et le groupe folk Bellowhead. Dans le cas d’Aznavour, il doit la plupart de ses succès aux adaptations de Herbert Kretzmer, auteur également de l’adaptation anglaise des Misérables de Boublil et Schoenberg, avec le succès international que l’on sait. Aznavour lui doit le grand succès de « She », la version anglaise de « Hier encore », « Yesterday when I was young » et celle des « Plaisirs démodés », « The Old-Fashioned Way ». Ferré n’a pas bénéficié de médiateurs aussi bien placés dans la culture musicale anglophone, même si j’ai essayé moi-même, à plusieurs reprises, de remplir ce rôle. Chose étonnante, il a fallu attendre 2013 pour que l’on arrive à publier une version anglaise d’une chanson aussi classique qu’« Avec le temps » – la mienne. Mais le succès est loin d’être garanti.

D’autres artistes aussi célèbres et plus récents ont subi le même sort que Léo Ferré : Bernard Lavilliers a tenté dans les années 80 une version anglaise de « Traffic » qui n’a pas fait long feu ; et Michel Jonasz, malgré un concert réussi au Hollywood Bowl, n’a pas vraiment conquis le public américain. Il n’est peut-être pas étonnant que, malgré une certaine notoriété médiatique grâce à sa chanson anti-Thatcherienne « Miss Maggie », Renaud non plus n’ait pas eu de succès outre-Manche, mais on peut lui appliquer le même type d’argument que pour Léo Ferré : il se situe trop clairement dans une tradition franco-française, en héritier d’Aristide Bruant, de Raymond Queneau et de Boris Vian. Par contraste, la dernière génération d’artistes britanniques a su conquérir l’énorme marché des États-Unis et a reçu les honneurs des Grammy awards américains : c’est le cas de l’auteure-interprète Adèle et du groupe folk-rock Mumford and sons. On pourra objecter que la langue anglaise partagée a joué un rôle déterminant dans ce succès international. Il serait trop facile cependant d’attribuer ce triomphe à la seule solidarité linguistique, bien que cela soit un facteur important. Il est vrai que le grand public anglophone démontre une nette préférence pour les artistes s’exprimant en anglais, mais l’on peut également signaler que ces deux lauréats des Grammys pratiquent des genres musicaux familiers et bien établis depuis des décennies : la soul music dans le cas d’Adèle et le folk-rock dans le cas de Mumford and sons. Par ailleurs il est facile de démontrer que le succès dans le monde anglophone ne dépend pas forcément de l’utilisation de la langue anglaise : comment expliquer sinon le succès dans les pays anglophones de la world music, des artistes africains et non-anglophones tels que Salif Keita, Youssou N’Dour ou encore Baba Maal ? C’est qu’ils proposent les rythmes novateurs de la percussion africaine, alliés à des couleurs de voix très particulières. Ce sont là de nouveaux avatars de la recherche du son et du culte du rythme.

Tout comme il existe bien une chanson à texte anglophone, dans la chanson française des dernières décennies il y a eu bien des tentatives de cultiver des rythmes et des sonorités originales, mais très peu ont su passer la douane du monde musical anglophone. Je pense aux sonorités pionnières de la world music dans le répertoire de Bernard Lavilliers, le rock tzigane de Michel Jonasz, les sonorités et les rythmiques peaufinées de Laurent Voulzy. Mais aucun n’a traversé la Manche ni l’Atlantique, à une exception près, et une exception paradoxale : Les Négresses vertes avec leurs chansons réalistes recréées à la manière punk ont quand même eu un certain succès, sans doute grâce à leur éphémère maison de disques indépendante et anglaise, OTT. Évidemment, ce sont surtout leurs sonorités françaises traditionnelles – accordéon, voix rauques, chansons de style cabaret – alliées à un rythme de folk-rock qui leur ont valu ce rare honneur. Malheureusement, une hirondelle ne fait pas le printemps, mais cet exemple illustre bien l’importance d’une collaboration active dans le métier du disque anglophone.

Pour le rayonnement futur de la chanson française, est-ce un conseil désespéré que je vous propose ? Il ne serait pas raisonnable d’envisager un changement rapide dans la situation que j’ai tenté d’analyser. De plus en plus d’artistes français risquent de suivre l’exemple de Phoenix et de Daft Punk en abandonnant la langue nationale pour leur expression musicale. Là aussi, le chemin est encore semé d’embûches : rares sont les Français capables de maîtriser les nuances de la prononciation anglaise et de son rythme pour pouvoir rivaliser musicalement avec les locuteurs natifs. Pour la production proprement francophone, il vaut mieux s’en remettre à des adaptateurs bien placés dans les médias anglophones afin non seulement de réussir des versions convaincantes des chansons, mais aussi de les promouvoir dans les médias locaux. Le public anglophone est en ce moment peut-être moins imperméable qu’on ne pourrait le craindre aux charmes de la chanson à texte. Depuis quelques années le succès des jeunes auteurs-compositeurs-interprètes comme Laura Marling, Ed Sheeran ou encore Jake Bugg, laisse supposer que le lyrisme verbal est peut-être de nouveau à la mode, profitant de l’essoufflement de la vague rock qui s’épuise en redites et retours en arrière nostalgiques, comme le montre l’exemple des Rolling Stones. Le succès tardif de Leonard Cohen indique qu’il y a chez le public anglophone un appétit pour la chanson poétique de qualité, auquel pourraient répondre des artistes francophones par le moyen d’adaptations soignées.

Mais ces adaptations ne peuvent pas se permettre d’être trop fidèles aux modèles originaux : il s’agirait bien d’adaptations et pas simplement de traductions. Il faudrait des compromis subtils entre les sensibilités françaises et les goûts du grand public anglophone. Ces adaptations devraient rester au moins fidèles à l’esprit des chansons originales, sinon à la lettre. C’est une règle que j’ai tenté d’appliquer dans mes adaptations de Ferré : pour les textes je suis resté aussi fidèle que possible à l’esprit de Ferré, en m’autorisant seulement des divergences là où une traduction fidèle ne passerait pas la rampe, ayant une consonance trop artificielle. Pour le style musical, je me suis inspiré de toute une gamme d’arrangements contemporains, comme l’avait fait également Ferré dans ses années de succès populaire. J’ai également cherché à démontrer que ces chansons vieilles d’un demi-siècle pouvaient avoir une vocation de standards comme les grands succès de Jérome Kern ou de Cole Porter, en s’adaptant à des styles d’interprétation très variés. Le plus souvent, j’ai utilisé un style folk acoustique, très en vogue en ce moment dans les pays anglophones, en ajoutant des sonorités de musique classique avec un quatuor à cordes, afin de saluer l’influence chez Ferré de la musique savante. Enfin, pour les chansons de style revue, comme « Jolie Môme » ou « Paname », mon arrangeur Jez Butler a trouvé des sonorités électroniques parodiant un peu le style easy listening des années soixante. Évidemment, pour les chansons de la période de la collaboration avec le groupe Zoo, comme « La Solitude », un style rock s’imposait. Cela donne un album aux tonalités musicales très variées, comme l’était la production de Ferré dans ses années les plus fertiles.

En guise d’exemple, je vous propose ma version anglophone d’une chanson classique, « Avec le temps » : en anglais « It may take time ».[1] Pour l’arrangement musical, nous avons gardé les triolets au piano de l’original, en ajoutant un quatuor à cordes. Je me suis éloigné un peu du texte original dans le deuxième couplet, dont quelques phrases étaient trop difficiles à rendre de façon convaincante sur la mélodie.

It May Take Time[2]

It may take time

It may take time, you’ll be okay

You may still hear her voice

You may still see her face

If your pulse doesn’t race

Then there’s no point in trying

Let it be and you’ll be fine

It may take time

It may take time, things pass away

Someone you once chased after in the rain

Someone you thought you understood, a passing glance

Between the words, between the lines or just a dance

Of made-up promises that vanished in the night

It may take time, you’ll be all right

It may take time

It may take time, things pass away

Even Memory Lane won’t always look that way

With its skies full of clouds and its streets full of pain

Saturday night and love is all alone again

It may take time

It may take time, you’ll be all right

When you feel bad you need a body beside you at night

Someone to cling to through death and through birth

Someone for whom you’d move heaven and earth

Someone to spoil with presents of sweetness and light

It may take time, you’ll be all right

It may take time

It may take time, you’ll be okay

You’ll forget all those voices and faces one day

All those sweet, gentle words for the young, for the old

Take care, don’t be too long, don’t you catch cold

It may take time

It make take time, you’ll be okay

And you stare at the wrinkles and hairs turning grey

In someone else’s bed you feel all on your own

And you feel almost happier sleeping alone

And the years seem to vanish in one single day

It may take time, love goes away.

Selon Louis-Jean Calvet (1993, pp. 195-6), Léo Ferré aurait tenté d’enregistrer lui-même une version anglaise de cette chanson célèbre, mais les résultats n’étaient pas convaincants, et le projet a été abandonné. Au cours d’une interview récente à Oxford (30 mai 2014), Alain Souchon a tiré la même conclusion après une tentative d’adapter en anglais quelques-uns de ses succès des années quatre-vingts. C’est que l’adaptation est une tâche qui est loin d’être facile, et l’interprétation encore moins : le plus souvent il vaut mieux confier cette dernière à un artiste anglophone de naissance, de façon à garder le phrasé et à respecter les accents toniques qui donnent à la langue anglaise tout son entrain rythmique.

Une solution à ce problème semble être de passer par une collaboration étroite entre les auteurs de chansons et des adaptateurs expérimentés, dans le contexte d’une production locale. L’exemple à suivre est peut-être celui de Charles Aznavour, qui a fêté ses 90 ans sur la scène de l’Albert Hall de Londres en mai 2014. Il doit ses premiers succès anglophones à un réenregistrement de ses chansons les plus connues réalisé à Londres en 1974, sur des adaptations signées pour la plupart par Herbert Kretzmer. Mais c’est le plus souvent à travers des réinterprétations par des artistes anglophones que les chansons françaises ont su percer le marché anglophone : c’est le cas des œuvres de Jacques Brel et de Gilbert Bécaud, comme nous l’avons déjà remarqué. Dans une Europe de plus en plus multilingue et multiculturelle, c’est par de telles collaborations transnationales que la chanson française peut tenter de s’imposer enfin en dehors du milieu culturel de l’Hexagone.

Bibliographie

Belleret, Robert. 1996. Léo Ferré : une vie d’artiste. Actes sud, Arles.

Calvet, Louis-Jean. 2003. Léo Ferré. Flammarion, Paris.

Ferré, Léo. 2013. Les Chants de la fureur. Gallimard, Paris/La Mémoire et la mer, Monte Carlo.

Vassal, Jacques. 2013. Léo Ferré : la voix sans maître. Cherche midi, Paris.

Discographie sélective

Aznavour, Charles. 1974. A Tapestry of dreams. Barclay 90.003. LP

Blau, Eric et Shuman, Mort et al. 1968. Jacques Brel is alive and well and living in Paris. CBS Masterworks, D2S 779, 2 LP set.

Ferré, Léo. 1971. Avec le temps. Barclay 841.017-2/4, CD

Hawkins, Peter. 2013. Love and Anarchy. Hoxa 1301-23, 2 CD.

[1] <https://www.youtube.com/watch?v=q2-kE6y5mrM> ; dernier accès : 5 mars 2017.

[2] Adaptation anglaise 1975 par Peter Hawkins de Léo Ferré « Avec le temps ». 1971. Nouvelles Éditions Meridian, Paris/La mémoire et la mer, Monte Carlo. Voir Ferré 2013, pp. 418-9.